Ma France c'est celle de Michel Audiard. Pour celle de Jacques Audiard, il faut un décodeur, et je ne veux pas m'y abonner. Gabin, Ventura, Belmondo, Delon, le quatuor magique est passé à la trappe. On n'a plus les yeux que pour les pleurer. Bien sûr face à leur vieillesse, il y avait notre jeunesse. Joie d'avoir vécu leur époque comme joie d'avoir vécu avec Trenet, Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, Béart, Aznavour, Barbara... Des talents. Pas des produits. La mort a trop bon goût. Après Gena Rowlands, c'est Delon. En France, reste Bardot, et puis rien. Deneuve a presque dix ans de moins. Depardieu ? Il s'est autodétruit. [Delon parmi les acteurs récents ne distinguait que Dewaere, Depardieu et le fils Cassel. Et puis personne d'autres] Après la décennie des années 1920, la Camarde s'attaque à celle de 1930, se léchant déjà les babines en prévision de la décade 1940... Quand un tel personnage public disparait, on ressent un vide. La presse dit qu'il est parti au ciel rejoindre ses amours et ses amis. Vaste plaisanterie. C'est un truc pour les vivants peureux dont il n'était pas. L'acteur avait une grâce innée. Le pouvoir macroniste en liaison avec la famille du défunt s'interroge s'il faut rendre un hommage national à Delon comme l'Etat le fit pour Belmondo, fils de collaborateur déclaré tout comme celui de Gérard Philipe, et pourtant la presse désigne à la vindicte populaire Delon parce qu' il n'est pas de la gauche caviar. Sartre et Beauvoir eux ont tous les droits de l'ignominie. Delon lui ne pouvait pas être de droite, il était forcément un infréquentable parce qu'il ne pensait pas comme l'intelligentsia qui fustige aussi Brigitte Bardot, tout en titrant sur eux pour ramasser le plus d'argent. Des moins que rien les critiquent. Hommage national ? Il n'en voulait parce qu'il pensait qu'on ne lui en ferait pas un. Donc il faut le faire ! C'est une gloire nationale et internationale. Pas un produit du PAF. Quelle dérision de voir les gens du pouvoir réfléchir à la meilleure com. sur Delon alors qu'il a dévoré des dépouilles: Johnny, d'Ormesson et Belmondo. Delon avait de la classe, pas besoin de lui dire qu'il en avait. Son piètre palmarès honorifique prouve son indépendance, souvent producteur des films où il jouait: il ne faisait pas copain-copain avec les décideurs qui vous collent des prix comme on décore les vaches aux concours agricoles. Il avait le prix permanent de la fidélité du public de sa génération, dernier film vu ou non. C'est le plus beau prix. Le seul qui compte chez les acteurs, particulièrement. En 1977, ils ne lui ont pas donné pas le César pour saluer sa maestria dans Monsieur Klein, lui préférant Michel Galabru, dans un rôle grave pour une fois, dans Le Juge et l'Assassin (Tavernier). Il a dû attendre 1985 (Notre Histoire, Bertrand Blier) pour qu'il soit récompensé. Monsieur Klein pourtant est désormais considéré comme un grand Classique alors que les films de Tavernier et Blier sont rentrés dans le rang.
Il fallait être Beatles ou Rolling Stones. J'étais plus Delon que Belmondo. J'aimais les deux mais quand je voyais un film avec Delon, la question ne se posait plus. Quand Belmondo a voulu refaire du cinéma d'auteur, il a tourné dans le plus mauvais film de Resnais (Stavisky, 1974) et le pire de ceux de Truffaut (La Sirène du Mississippi, 1969). Jadis, au cinéma, tous les films américains se terminaient par The End. La fin. Celle d'Alain Delon est intervenue dimanche 18 août 2024. Le jour du Seigneur pour celui dont on disait qu'il appartenait à la races du même nom. Officiellement, son coeur a cessé de battre, mais cela faisait un long moment qu'hélas! il ne pouvait plus agir à guise. La maladie l'avait rendu dépendant des autres. Sa vie commença le 8 novembre 1935. Son parcours est hors normes. Restons sur sa carrière cinématographique: autodidacte, il appartient au clan très fermé des acteurs qui font entrer les personnages en eux au lieu d'entrer dans les personnages. C'est la différence entre les géants et les autres. Dans sa catégorie, il y a Gabin et Ventura. Delon faisait la distinction entre acteur et comédien. Lui était un acteur c'est-à-dire quelqu'un que l'on prenait pour son instinct. De son côté, Belmondo était un comédien, formaté sorti du conservatoire. Delon n'était sorti que du ventre de sa mère. Il fut remarqué par son physique, sa beauté éclatante. On ne voit que Gérard Philipe pour lui être comparé. Delon est un Cid qui a vieilli. Un James Dean qui n'est pas mort dans la splendeur de sa jeunesse. Il était du même calibre que les grands acteurs américains: pour une fois qu'on en avait un! C'est notre De Niro, notre Brando. Delon est si rare que son visage sert encore de pub pour vendre du parfum. Jean Sorel (89 ans) n'a rien à envier à Alain Delon, niveau beauté et talent, sauf qu'il n'a pas affiché sa rage de s'imposer comme Delon qui fut un loup lâché dans le show-biz. Delon comme Johnny Hallyday savait que pour se faire une grande place dans la galaxie médiatique, il fallait donner sa vie en pâture sur quadrichromie. Delon a voulu devenir une marque et il a mis les moyens sans vendre son âme au diable. Delon n'a jamais été un bobo de gauche, vecteur de la pensée unique. C'était un homme de droite, affichant haut ses couleurs. Comme Hallyday et Sardou. Gaulliste, n'ayant pas peur de se faire photographier avec Le Pen, il était totalement libre de faire ce qu'il voulait. Aujourd'hui qu'il est mort, les journaux de gauche vont le mettre en une pour vendre un maximum leurs salades avariées alors qu'ils le méprisaient d'être du côté des méchants, comme ils pensent selon leurs doctrines à œillères. Pour la gauche, c'est mieux d'être pour Belmondo dont la père, Paul Belmondo, a un passé collaborationniste sous l'Occupation nazie ! C'est encore mieux d'être Yves Montand compagnon de route du communisme pendant des années. A la vérité, Delon était un homme libre qui se moquait de froisser les journalistes qui ne voit pas plus loin que la doxa générale, comme ils disent toujours. Delon n'était pas du genre à penser comme le décrètent les commissaires politiques. Delon ne pratiquait pas la reptation sport de gauche. Des féministes "du camp du bien "vont cracher sur sa tombe, salir la mémoire de celui qu'elles ne connaissent ni d'Eve ni d'Adam. Les wokistes sont sortir du bois. Quand on voit que la racaille moderne ferme les yeux sur les ordures de l'actuelle Assemblée nationale devenue un dépotoir.
Totalement lucide sur le métier d'acteur, Delon savait qu'il lui fallait devenir une légende vivante pour bien traverser la vie dans le cinéma. Une fois mort, l'oubli domine leur filmographie. Les jeunes ne savent plus qui est Maurice Ronet et encore moins Louis Jourdan. Les peintres ou écrivains peuvent avoir une gloire posthume, pas les acteurs. Delon a tourné au moins 7 chefs d'oeuvre, lui a dit Marlon Brando. Enumérons les temps forts:
Plein Soleil (René Clément, 1960), Rocco et ses frères (Luchino Visconti, 1960), L'Eclipse (Michelangelo Antonioni, 1962), Mélodie en sous-sol (Henri Verneuil, 1963), Le Guépard (L. Visconti, 1963), L'Insoumis (Alain Cavalier, 1964), Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967), La Piscine (Jacques Deray, 1968), Le clan des Siciliens (H. Verneuil, 1969), Le Cercle Rouge (J-P Melville, 1970), Un flic (J-P Melville, 1972), Le Professeur (Valerio Zurlini, 1972), Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976)... Tous ces films sont comme des livres, des tableaux ou des chansons d'Alain Delon, oui d'Alain Delon et non pas avec lui. Il y en a d'autres mais pas son apparition dans Astérix aux Jeux olympiques (2008) sous les traits de Jules César. Le Samouraï de Melville a fait cadeau de sa présence dans une production censée prouver qu'il avait de l'humour par rapport à la construction de son personnage public. On n'avait pas besoin de ça: Delon n'était pas un acteur comique, on le savait depuis Doucement les basses (J. Deray, 1970).
Le public allait voir les films de Delon ou de Belmondo comme on va voir OM-PSG. Qui va au cinéma voir le nouveau film d'Edouard Baer ou de François Cluzet ? Au passage signalons que ce comédien (celui d'Intouchables) s'est autorisé à faire une plaisanterie grasse sur Delon lors d'une cérémonie des Césars. La salle avait applaudi à tout rompre parce que Delon avait fait une déclaration taxée d'homophobie dans une émission pipole de France 5 de la fin de journée. Si je me souviens bien, son pourfendeur prétendit qu'en traversant la frontière suisse, Delon avait oublié son cerveau dans son appartement helvète. L'extrait bien sûr est introuvable sur YouTube.
Evidemment Delon a une face sombre. C'est un homme. Pas un robot. Des biographes se chargeront de les mettre en lumière. Il a multiples facettes. C'est un Rubik's cube à décoder, notamment sa période Visconti & Romy Schneider, entre autres. Pour mesurer sa chaleur humaine, il suffit de parler à son ami projectionniste de Douchy. Moment clef: ses parents loin d'être toujours présents signent le papier autorisant sa permission pour partir en Indochine. Pour le fils mal-aimé cela signifie qu'ils ne craignent pas sa mort, donc qu'ils ne l'aiment pas. Son désir le plus fort si le paradis existait ? Voir ses parents réunis devant lui, enfin !
Pour la face visible de l'iceberg, il est facile de saluer son talent qui crève l'écran.
Delon est venu au cinéma par les femmes, celle de René Clément a été importante pour Plein Soleil. Elle a dit à son mari d'écouter le débutant qui ne voulait pas jouer le rôle finalement interprété par Ronet. Ne sachant pas vraiment comment faire pour agir devant une caméra, Delon reçu ce conseil de Clément: "Ouvrez les tiroirs comme si vous étitez chez vous..." Ce qui fut fait, et ce naturel ne quitta plus sa démarche artistique. A propos de démarche, Delon avait celle d'un félin qui tourne dans une cage.
La présence, le charisme, le magnétisme, le fluide, tout ce bagage essentiel, ne s'apprend pas. On l'a ou pas. Delon l'avait en surcharge. Il était lumineux. Solaire. Et l'admiration qu'on lui portait décupler encore davantage son aura. Les femmes voulaient être avec lui, et les hommes voulaient devenir ami avec lui. Avec son chapeau, son regard, sa façon de bouger, il ne jouait pas au Samouraï, il était samouraï. On voyait son monde intérieur, comme on voit celui de Clint Eastwood. Delon n'avait pas le talent supplémentaire de réalisateur comme l'Américain mais il savait cependant ce qu'était le cinéma. Un grand réalisateur sait où placer la caméra et comment diriger les acteurs. Delon était en confiance avec Clément, Visconti, Losey... J'ajoute Verneuil trop méprisé par l'intelligentsia qui préfère Godard et Bertrand Blier parce que l'intelligentsia méprise ce qui est populaire, préférant les films abscons des intellos de la péloche au Destin fabuleux d'Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2001).
Delon au cinéma, et aussi dans le privé, est associé aux flingues, aux femmes, à l'amitié virile, à la pègre, aux chiens policiers, aux polars, aux tableaux, dessins et sculptures, aux belles voitures, à la boxe, mais il y a aussi les punchlines politiques ou artistiques ("Dujardin n'était pas le nouveau Belmondo. Il n'y a qu'un Belmondo !"), le merchandising lié à son nom, sa renommée mondiale, la delonlâtrie au Japon, la médiatisation de ses enfants, reconnus ou pas. A Nice, il s'était associé à son ancien partenaire de Rocco et ses frères, Max Cartier, dans l'aventure du night-club La Camargue, cours Saleya, lieu ultra branché des années 1970. Max Cartier renonça au cinéma pour devenir sculpteur. Cela évoque Rembrandt Bugatti. Delon était un collectionneur d'Art de premier rang. Le misanthrope est plus associé à la province- Douchy- qu'à Saint-Germain-des-Prés. Personne ne le souligne, le héros ne portait pas des lunettes de soleil à la terrasse du Flore pour qu'on lui demande des selfies!
Je connais Max Cartier qui venait dans le commerce de mon père au Col de Villefranche. Mon ami Jean Ferrant le connaissait. J'ai rencontré un jour Alain Delon grâce à Henry Chapier mais cela est une autre histoire, dans les studios de Boulogne-Billancourt. Il faudrait plusieurs pages pour raconter.
Le temps va passer et son nom restera en France, en Europe et dans le monde. Il est fort probable plus par sa présence dans un film que grâce aux cinéastes. Le public dit souvent que Delon est dans Rocco et ses frères et Le Guépard sans être des cinéphiles avertis qui connaissent Luchino Visconti. La première fois que Delon vit Luchino Visconti, le maître italien était entouré de valises qui avait L.V de partout. Delon s'est dit: "Il est vraiment important ce Monsieur car il a ses initiales sur ses bagages". Il s'agissait en fait du logo Louis Vuitton. Delon précisa qu'à l'époque, il avait tout à prendre. C'était une éponge capable de tout absorber. Un élève par excellence. Son intelligence était à la hauteur de son instinct. Ne parlons pas de sa sensibilité. A la fois rose et épines.
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